[Présidentielle] Pour la CFE-CGC, le rôle du politique est de peser sur le cours des choses, et non d'expliquer comment le subir

[Présidentielle] Pour la CFE-CGC, le rôle du politique est de peser sur le cours des choses, et non d'expliquer comment le subir

21.03.2017

Représentants du personnel

La CFE-CGC interpelle aujourd'hui les candidats à la présidentielle avec un document de 110 pages. Le syndicat étonne en proposant, contre les délocalisations, de faire reconnaître une valeur et donc un droit au savoir-faire collectif d'une entreprise. La CFE-CGC veut assortir la négociation salariale d'une obligation de résultat et souhaite des discussions sur le partage de la valeur ajoutée. Le syndicat souhaite que soit évaluée dans le temps les effets de la loi Rebsamen avant toute modification des IRP.

"Quelle société pour demain ? Y-a-t-il meilleure question à poser au moment où les candidats à la fonction suprême se présentent à nos suffrages et proposent les programmes de gouvernement dont nos vies vont dépendre ?" interroge, en introduction de ce copieux document, le nouveau président de la CFE-CGC, François Hommeril, élu en juin 2016. Ce dernier, qui veut faire de la CFE-CGC le troisième syndicat français, se dit prêt à répondre "à toute sollicitation du gouvernement pour travailler à construire et mettre en oeuvre les réformes dont notre pays a besoin".

C'est le rapport des intérêts contradictoires qui fait que la vie est possible

Mais il pose ses conditions, qui passent par le respect des corps intermédiaires et par un équilibre entre la loi et le contrat qui semble viser l'actuelle loi Travail : "C'est le rapport des intérêts contradictoires qui fait que la vie est possible (..) En abandonnant le corps social à la violence du rapport de force économique, en éloignant toujours plus la limite de l'ordre public conventionnel pour soumettre la vie des salariés à autant de conjonctures aléatoires, les politiques commettent une faute impardonnable. En déjugeant le dialogue social et le paritarisme, ils ajoutent le mensonge à la faute, tant la réalité les accable par les chiffres toujours croissants d'accords signés dans les entreprises et les branches professionnelles". Voilà Emmanuel Macron, qui veut reprendre au paritarisme la gestion de l'assurance chômage et de la formation, et François Fillon, qui veut abandonner le monopole syndical de présentation des candidats au 1er tour des élections professionnelles, habillés pour le printemps !

Un discours critique sur le fonctionnement de l'économie

Le propos est également incisif quand le syndicat s'en prend au "discours moralisateur" de certains politiques, type "la France doit s'adapter aux réalités du monde". Non, répond la CFE-CGC, le rôle de la politique n'est pas de favoriser "une fuite en avant ultra-libérale poussée par la minorité qui y a intérêt", la politique a pour rôle de "peser sur le cours des choses et pas d'expliquer comment le subir". Ce cours des choses n'est d'ailleurs pas satisfaisant dans le domaine économique, dont la CFE-CGC dénonce "les dérapages".

Profit à court terme et manque d'investissement dans les entreprises

Les groupes cherchent à constituer des monopoles forts en orientant l'argent dégagé par l'activité économique vers des opérations d'acquisition et fusion, "au détriment du développement organique et de l'investissement dans l'innovation". "Le déséquilibre croissant de la gestion des grandes entreprises au profit à court terme des seuls actionnaires a plusieurs effets néfastes sur notre tissu économique", s'irrite la confédération, qui pointe l'évolution différente, selon la taille des entreprises, des dividendes versés aux actionnaires : multiplication par 7,8 en 20 ans dans les très grandes entreprises, mais seulement une multiplication par 2 dans les entreprises de taille intermédiaire. Conséquence : un manque d'investissement dans les entreprises (que le CICE n'a pas redressé, l'industrie, qui représente 73% des exportations françaises, n'ayant bénéficié que de 22% des aides du crédit d'impôt compétitivité emploi) et un transfert des bénéficies de nos grandes sociétés vers l'étranger (pour un montant de 28 milliards d'euros soit 1,3% de notre PIB), "le capital des sociétés du CAC40 étant détenu à plus de 50% par des fonds d'investissement étrangers".

Des propositions anti-délocalisation : faire reconnaître une valeur et un droit au savoir-faire collectif

On pourrait ici objecter à la CFE-CGC que cette réalité des investissements étrangers en France est incontournable et que le politique, qu'il se nomme François Hollande, Benoît Hamon, Jean-Luc Mélenchon, François Fillon ou Emmanuel Macron, doit bien la prendre en compte sous peine de voire ces capitaux investis ailleurs...Mais la CFE-CGC élargit son propos en réclamant, au niveau européen, "une politique économique et sociale cohérente dans la zone euro" ainsi qu'une reformulation, sur le plan juridique, de la finalité des entreprises au regard de leur intérêt social : "Celui-ci vise la pérennité de l'entreprise et l'intérêt général équilibré des parties prenantes, au premier rang desquels ses salariés, ses actionnaires, ses clients, ses fournisseurs et les collectivités où elle est implantée".

 Faire reconnaître une valeur au capital de savoir-faire collectif de l'entreprise

Au niveau français, la CFE-CGC souhaite faire reconnaître "une valeur temporelle au capital de savoir-faire collectif de l'entreprise" et veut également rattacher à l'ensemble des salariés d'une entreprise "un droit à la protection de ce savoir-faire collectif dans le respect de l'intérêt social". Ce droit serait négocié "de manière obligatoire au niveau de l'entreprise", pour une durée qui pourrait être définie, "et il pourrait lui être associé une durée minimal d'exploitation exclusive des inventions au sein des unités inventrices avant que leur exploitation puisse être délocalisé". Une mesure originale qui serait selon le syndicat du "gagnant-gagant" : "Plus les salariés innovent, plus ils contribuent à assurer leur avenir collectif dans leur bassin d'emplois. En retour, l'entreprise bénéficie de salariés motivés pour innover et la faire progresser".

La loi doit rester le socle, et la branche le pivot du dialogue social

Concernant le dialogue social, dont la CFE-CGC se félicite qu'il soit de plus en plus considéré comme ayant un impact positif sur la compétitivité, la confédération déplore son manque de loyauté en France : "Il est souvent trop contraint et en final appauvri par les représentants des employeurs qui abusent de "postulats économiques" largement infondés. Il faut absolument retrouver plus de transparence et d'objectivité pour nouer un véritable dialogue constructif plutôt que de donner lieu à des oppositions dogmatiques et stériles". Le syndicat déplore, comme de nombreux experts du CE, le déploiement incomplet de la base de données économiques et sociales (BDES), "insuffisamment nourrie des éléments permettant d'évaluer la valeur du capital humain dans l'entreprise".

Sur la forme du dialogue social, le syndicat déplore l'évolution législative (allusion à la loi Travail, notamment) en faveur de la suppression "du concept historique et fondamental du principe de faveur qui prévoit que la convention et l'accord collectif de travail peuvent comporter des dispositions plus favorables aux salariés que celles des lois et règlements en vigueur". Autrement dit, la loi doit rester le socle pour la CFE-CGC (avec notamment la durée légale du travail et la définition de temps de repos incompressibles) et la branche demeurer "la clef de voûte de l'organisation du dialogue social". En imposant un socle commun aux entreprises de son secteur, "la branche est le garant d'une cohérence qui limite les effets néfastes pour tous d'un dumping social et économique", estime la CFE-CGC.

Non à la baisse des moyens des élus du personnel

Quant au niveau de l'entreprise, "autre lieu important du dialogue social", le syndicat juge qu'il serait "contre-productif et purement démagogique de revoir à la baisse les moyens -notamment les heures de délégation- à disposition des élus et délégués syndicaux qui leur permettent d'aller à la rencontre de leurs mandants et d'alimenter le dialogue social avec les éléments de terrain". Jugeant trop timorée la disposition de la loi Travail ouvrant aux syndicat l'usage de l'intranet de l'entreprise, qui subordonne à un accord d'entreprise l'utilisation des mails professionnels par les syndicats, la CFE-CGC revendique un véritable droit pour l'ensemble des représentants des salariés à utiliser les outils numériques

Une consultation sur la valeur ajoutée et une obligation de résultat sur la négociation salariale

Pour une meilleure gouvernance des entreprises, le syndicat réclame un tiers de représentants de salariés au sein des conseils d'administration et de surveillance. Cela correspond à une proposition de Benoît Hamon, dont l'idée de revenu universel est par ailleurs accueillie avec un grand scepticisme par François Hommeril. La CFE-CGC voudrait également voir élargie la consultation sur les orientations stratégiques "au partage de la valeur ajoutée". Cet échange serait un préalable à toute négociation sur la rémunération. "Pour cela, les négociateurs auraient "accès à toutes les informations nécessaires sur la valeur ajoutée et son évolution (montant de la valeur ajoutée, des dividendes, de la rémunération des dirigeants, celle des salariés, intérêts d'emprunts, investissements, etc.)" et droit à une expertise. En outre, la confédération des techniciens et cadres souhaite que l'obligation annuelle de négocier sur les salaires soit assortie d'une "obligation de résultat".

Le syndicat estime au passage que la généralisation du principe majoritaire pour la validation des accords collectifs, prévue par la loi Travail, "rend désuète la jurisprudence "Yara" de la Cour de cassation du 2 juillet 2014" qui empêche la CFE-CGC de valider seule un accord collectif concernant tous les salariés au motif qu'elle reste un syndicat catégoriel.

 

La CFE-CGC veut d'abord voir la loi Rebsamen évaluée avant tout nouveau changement des IRP

Au rebours de certaines propositions (comme l'instance unique de représentation du personnel voulue par F. Fillon et E. Macron), la CFE-CGC appelle à la prudence quant à de nouveaux changements sur les IRP : "La loi de 2015 a conduit à une évolution certaine, avec de nouvelles conditions de mise en place d'une délégation unique du personnel et la possibilité par accord d'aménager encore un peu plus la configuration des instances représentatives. Avant toute nouvelle évolution, il importe de laisser la loi de 2015 produire tous ses effets et d'en faire un bilan".

Faire supporter par la direction du personnel la charge du temps consacré à l'exercice d'un mandat

En revanche, la syndicat propose un changement pour faciliter et valoriser l'engagement syndical dans les entreprise, en faisant supporter "les charges correspondant au temps consacré à l'exercice du mandat" par la direction des relations sociales de l'entreprise, "et de ce fait valoriser ce temps comme une ressource pour cette direction et non comme une charge pour le service concerné".

ll est ici impossible de citer les nombreux constats et idées contenus dans le document fleuve de la CFE-CGC (lire notre document joint). Mais sachez qu'il avance entre autres propositions :

  • la négociation du plan de formation;
  • l'intégration au compte personnel d'activité (CPA) un compte temps;
  • la consolidation du congé individuel de formation (CIF), "outil fondamental de promotion sociale", avec une enveloppe financière accrue;
  • la réforme du congé parental d'éducation avec une indemnisation à hauteur de 80% du salaire et en incitant les deux parents à partager ce congé;
  • de renseigner dans la BDES la part des femmes et des hommes dans les comités de direction des entreprises;
  • d'inciter les salariés à garder leur épargne d'entreprise plus longtemps avec un forfait social abaissé à 8%;
  • redéployer sur 3 ans tous les allégements de cotisations sociales patronales sur l'ensemble des salaires (afin de moins pénaliser le travail qualifié et favoriser la montée en gamme de l'économie française);
  • l'ouverture d'une négociation sur le télétravail;
  • la création d'une cotisation sociale sur la consommation (TVA sociale de 3 points) afin de créer des recettes durables pour la sécurité sociale, etc.
  • de simplifier la reconnaissance du burn out en maladie professionnelle;
  • d'étendre le droit d'alerte du CHSCT lorsque l'obligation d'établir ou d'actualiser le document d'évaluation des risques n'est pas respectée;
  • inscrire la prévention des risques psychosociaux dans la négociation sur l'égalité F/H et la qualité de vie au travail, etc.

La CFE-CGC va adresser aujourd'hui son document aux candidats à l'élection présidentielle, qu'elle invite par ailleurs à répondre à 7 questions en promettant de publier leurs réponses sur son site : Comment concilier l'économie de marché avec l'intérêt général de notre pays ? Pouvons-nous en France tirer profit de la 4e révolution industrielle sans l'expression des intérêts convergents et contradictoires issue de l'exercice du dialogue social ? Considérez-vous qu'il faille relever l'âge d'ouverture des droits à la retraite, etc.

 

Droit à la déconnexion : ce que préconise la CFE-CGC

Dans les négociations d'entreprise qui s'ouvrent au sujet du droit à la déconnexion, la CFE-CGC souhaite que soient concrétisés les points suivants :

  • blocage de la réception de courriers ou sms durant le temps de repos des salariés;
  • contrepartie en repos ou argent pour les salariés soumis à des périodes d'astreintes de connexion pour raison de sécurité ou motif commercial;
  • formation des salariés, de leurs supérieurs hiérarchiques et des membres de la direction à "l'utilisation pertinente des outils numériques";
  • exclusion de ses outils personnels à des fins professionnelles;
  • suivi de la charge de travail des salariés, "avec des objectifs professionnels raisonnables".

►Sur ce thème, voir notre article du 16 mars 2017 : "Saisissez-vous du droit à la déconnexion"

 

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Bernard Domergue
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